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En direct de Cannes: Entrevue avec Laura Wandel

Publié le 15 mai 2014 dans Actu ciné

Notre envoyé spécial Nicolas Gilson a rencontré la réalisatrice du court-métrage Les Corps étrangers, sélectionné en Compétition Officielle au 67e Festival de Cannes.
Le film met en scène les doutes et questionnements d’Alexandre, un photographe de guerre qui, à la suite d’un accident, suit une rééducation auprès d’un kinésithérapeute. Refusant d’abord tout dialogue, comme enfermé d’un mutisme par rapport à lui-même, l’homme doit faire face à la réalité de son corps amputé d’une jambe. Un parcours que Laura Wandel aborde avec beaucoup de justesse comme une succession de mouvements plus sensibles (et sensitifs) que narratifs.

L’approche photographique rend palpable d’entrée de jeu l’état psychologique d’Alexandre au travers de la fragmentation des corps tout en exacerbant son ressenti par un cadrage résolument serré. Forte d’inviter le spectateur à épouser le regard du protagoniste et à en partager l’émoi, la réalisatrice parvient également, en le filmant de dos, à transcender admirablement la distance qu’il s’impose à la suite de son handicap (épousant ses gestes et ses hésitations). Imperceptiblement, les objets de représentation et les modulations de cadre épousent et transcendent l’évolution du protagoniste. Petit poème cinématographique.

Comment est né Les Corps étrangers ? 

Ça a été une succession de plusieurs choses. J’avais envie d’écrire sur un personnage qui se questionne par rapport à l’image, à la représentation, et qui observe le monde – ce qui peut faire écho à mon métier de réalisatrice. J’ai eu envie de parler d’un photographe de guerre parce que, sans rentrer dans les enjeux politiques, ça me permettait de parler d’un personnage qui d’observateur se retrouve à la place de l’observé. Sans jugement. Je voulais qu’il sorte de la norme, d’où un handicap visible.

Celui-ci est-il devenu moteur ?

Je me suis toujours m’intéressée à des personnages différents, qui se sentent en marge de la société. Ici, le handicap permettait un questionnement par rapport à l’image de soi. Le personnage ne correspond plus à la norme physique, à l’équilibre attendu.

Depuis quand pensais-tu à ce personnage de photographe de guerre ?

Depuis longtemps. Déjà lorsque j’étais étudiante à l’IAD, j’avais une idée de long-métrage autour du questionnement du photographe. Le handicap n’était pas encore présent. Ce qui me plaisait, c’était cette idée de rendre « beau » une chose qui n’est peut-être pas montrable. Un élément qui se retrouve, je l’espère, dans le film.

Qu’est-ce qui a guidé ton approche esthétique ?

On a énormément travaillé en amont avec Frédéric Noirhomme, le directeur photo. Je lui ai-montré des films que j’aimais beaucoup. On a cherché des choix de cadrage ensemble. Il m’a aussi montré des choses qu’il aimait. Ça s’est construit sur une dynamique d’échange. Ce qui est fou avec lui, c’est cette capacité à tout de suite être dans le juste. On a eu plein de discussions autour du personnage. On est restés très proche du découpage.


Quels ont été vos films de référence et quelles sont tes influences ?

Il y avait deux films de référence : Alps de Giorgos Lanthimos pour l’image et Batalla en el cielo de Carlos Reygadas pour le son. Carlos Reygadas est par ailleurs un des cinéastes qui m’a donné envie de faire du cinéma. J’adore aussi la manière dont Michaël Haneke parvient à faire en sorte que le spectateur se questionne sur son état de spectateur – une froideur qui n’en est pas une. Et puis – bien qu’on m’a dit de ne pas le dire – Kiarostami. J’ai d’ailleurs donné à Alain Eloy (qui interprète Alexandre) Le Goût de la cerise pour qu’il s’en nourrisse.

Tu as le droit d’aimer Kiarostami.

Oui mais comme il est président du Jury on m’a dit que ça faisait un peu « la fille qui ». Mais en même temps, c’est vrai. Quand j’ai vu que c’était lui le président j’ai vraiment failli tomber dans les pommes, encore plus que d’apprendre que le film était sélectionné à Cannes.

Comment as-tu trouvé les comédiens ?

J’ai tout de suite su qu’Alain Eloy serait Alexandre. Je l’ai découvert dans "Bonne nuit" de Valéry Rosier et j’ai tout de suite flashé sur lui. C’est lui que j’avais en tête lorsque j’ai commencé à écrire. J’ai attendu d’avoir une première esquisse de scénario, je la lui ai envoyée et il a été d’accord. Je lui ai par la suite envoyé les nouvelles versions et il me donnait ses retours.

Tu as de la même manière directement contacté Michaël Abiteboul qui interprète le kiné ?

Oui. J’avais peur que son agent mette des barrières et je voulais lui exprimer le désir et l’importance que ce soit lui. Du coup j’ai essayé d’avoir ses coordonnées, d’abord par son agent qui fatalement ne voulait pas et ensuite, par hasard et par jeu de contact, j’ai contacté Guillaume Gouix qui est un ami à de Michaël. Et ce qui est fou, c’est que, lorsque je l’ai contacté, il m’a dit que Guillaume est bien plus difficile à joindre que lui. J’ai tout de même mis une heure à l’appeler tellement j’étais stressée. Je lui ai envoyé le scénario et il m’a rappelé 20 minutes après.

Comment as-tu travaillé la direction d’acteur ?

Je n’avais pas envie de faire trop de répétitions avec Alain. On est allé rencontrer des amputés, des kinés, je lui ai fait lire des ouvrages sur des photographes de guerre et je lui ai montré des films comme L’Humanité de Bruno Dumont. Je trouve que la manière dont le personnage de Pharaon se positionne dans ce film donne tout de suite plus d’informations que la parole elle-même – la manière de se positionner notamment et la manière qu’il a, d’observer les choses.


Tu n’as pas peur de filmer les corps de très près.


Le personnage qui jusqu’ici s’est toujours réfugié derrière son appareil photo est vraiment confronté aux corps. J’avais envie de créer une sorte d’oppression. Il n’y a plus rien entre son regard et le corps des gens. Il en est au plus près. Pendant le découpage, on avait deux axes : le point de vue d’Alexandre – qui, compte tenu de son vécu et de la manière dont il se sent, se focalise sur les corps – et celui plus distancée de la caméra qui impose un recul au spectateur au moment où il pourrait se complaire dans le voyeurisme. On privilégiait filmer Alexandre de dos ou de trois quart dos comme pour suggérer une crainte du regard de l’autre, l’autre pouvant être le spectateur – dont moi, réalisatrice.

En filmant tant des femmes enceintes que des dames âgées, tu crées une sorte de poème visuel au coeur même du film. Qu’est-ce qui a motivé les choix des différentes silhouettes ?

J’avais envie de toutes sortes de corps. Les femmes âgées dans l’eau, il y a peut-être quelque chose de repoussant au premier regard mais je ne peux pas m’empêcher de trouver ça magnifique. C’est un peu comme la photographie de guerre. Je n’ai pas les mots pour l’expliquer mais il y quelque chose de beau et d’effroyable en même temps. Pour moi c’est magnifique.

Comment t’est venue l’idée de la scène du pigeon ?

Quelques jours avant le tournage, j’ai revu Japon de Reygadas où, dans la scène d’ouverture, il y a un enfant qui joue à maltraiter un petit oiseau et alors que je me rendais sur l’un des décors du film, il y avait un pigeon coincé dans le métro. Je trouvais ça tellement triste. J’ai évidemment pensé à Amour de Haneke même si ça n’a pas été moteur. Ça a fait place à un enchaînement d’idées qui m’a conduit à ajouter cette scène car cette image-là, à ce moment-là, fait sens.

Tu n’appréhendais pas de travailler avec des effets spéciaux ?

Je ne me rendais pas compte de ce que ça allait être. Ce qui est plutôt chouette. On a eu beaucoup de chance aussi car mon producteur travaille chez Umedia où il y a tout un secteur VFX et donc j’ai été mise en contact avec le chef des effets spéciaux. Si je ne comprenais pas tout, je savais que j’étais entourée.

Entre les effets spéciaux et le pigeon, il y avait beaucoup de contraintes.

J’ai vraiment stressé avec les enfants et le pigeon. En fait j’ai rassemblé toutes les difficultés que l’on peut avoir : travailler dans une piscine avec des enfants, des animaux, des vieux, des handicapés et des effets spéciaux. Je savais que ça allait être difficile mais je ne voulais pas y penser. Et ça s’est bien passé.

Pour découvrir le site de Nicolas Gilson, c'est par ici !



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