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Cédric Klapisch et la Duris Generation

Publié le 5 décembre 2013 dans Actu ciné

A l'occasion de la sortie de Casse-tête chinois la semaine prochaine, Fernand Denis a rencontré le réalisateur qui pointe ici les principaux traits de sa fresque.
Dans L’Auberge espagnole, Xavier, joué par Romain Duris, a 25 ans. Dans la suite, Les Poupées russes, il est dans la trentaine. Et avec Casse-tête chinois, il aborde la quarantaine. Autant que les aventures sentimentales de ce personnage construit par le réalisateur et son acteur fétiche, cette trilogie raconte une génération dont il évoque ici les caractéristiques.

On associe souvent le tandem que vous formez avec Romain Duris - 7 films ensemble - avec le duo Truffaut- Léaud et le cycle Antoine Doinel. La trilogie "Auberge espagnole - Poupées russes - Casse-tête chinois" me fait plutôt penser à Harry Potter dont la saga cinématographique a capté la transformation physique de ses jeunes interprètes. Dans votre trilogie, on voit aussi une génération vieillir à l’écran.

Je n’ai pas vu tous les "Harry Potter", mais c’est pour cette raison-là que l’intégrale me tente. En plus, ils ont bien choisi leurs acteurs. Cette dimension générationnelle ajoute un intérêt au film, et en écrivant le troisième épisode, je me demandais: "C’est quoi, cette génération ?" J’ai été le premier surpris du succès de "L’Auberge espagnole", mais le film est arrivé alors que l’identité européenne était en train de vouloir se former, que la notion de voyage explosait avec les premiers effets du TGV et l’apparition du low cost. Les langues ne faisaient plus peur, alors que quand j’étais petit, apprendre l’anglais était exotique. Aujourd’hui, on est obligé, cette génération Erasmus a intégré cela.

Au départ, y avait-il le désir de capter l’essence d’une génération ?

Pas du tout. Il s’est passé quelque chose à la sortie de "L’Auberge espagnole", pas du tout en le faisant. C’est étrange de voir un film rencontrer ainsi la sociologie. D’ailleurs, on ne peut pas parler de suite, chaque film a son autonomie, il peut être vu sans les autres. On peut les regarder dans le sens chronologique, comme dans l’autre. Ce n’est pas le cas pour Harry Potter.

Votre film épingle quelques-unes des caractéristiques de cette génération. Elle est très mobile.

Absolument. Et dans "mobilité", il y a l’idée de voyages, de déplacements, mais aussi celle de glisser, de surfer sur les choses. L’approfondissement est une idée ancienne. C’est pour cela que le cinéphile vit des jours plus difficiles, les gens ne sont pas dans cette logique. On est dans la consommation immédiate, l’instantanéité, l’adaptabilité. Ce n’est pas une critique, c’est une observation. Cette adaptabilité donne à cette génération un côté extrêmement pragmatique. Un des problèmes de ma génération, c’était l’idéologie, le dogmatisme, cela fabriquait des cadres. Aujourd’hui, les jeunes ont une très grande liberté de pensée, parce qu’ils vivent sans ces cadres. Il n’y a plus Trotsky pour vous dire qu’il faut penser comme cela. On ne doit plus choisir son camp, on peut être polymorphe, on peut avoir de multiples identités. C’est un Gambien qui m’a fait comprendre cela pendant que je tournais "L’Auberge espagnole", justement. Il était né en Gambie, il était Africain, il était arrivé à Barcelone à l’âge de 5 ans. Il me disait: "Je suis Gambien, je suis Barcelonais, je suis Catalan, je suis Espagnol et je suis Européen." Et suivant la discussion, il pouvait être Gambien et puis très Catalan et puis plus Européen. Ces échelles d’identités différentes, c’est le monde d’aujourd’hui, pour moi.

Dans son rôle de lesbienne épanouie, Cécile de France incarne cette génération décoincée où l’homosexualité ne fait plus problème.

Il y a eu des combats en Europe qui ont été gagnés. Et une fois qu’ils ont été gagnés, la pensée humaine ne revient pas dessus. On n’imagine pas revenir au vote réservé aux hommes. Il y a un peu plus de 60 ans, c’était pourtant comme cela. Mais le combat est loin d’être gagné en Russie, dans les pays du Maghreb, en Afrique, en Chine… Dans ces pays, on met les homosexuels en prison ou dans des asiles psychiatriques, l’homosexualité est durement réprimée. Gagneront-ils un jour le combat ? C’est une vraie question.

La nouvelle génération vit un tout autre rapport au père. Il est beaucoup plus présent à côté de ses enfants, mais, une semaine sur deux, si on en croit le film, il conserve une grande liberté.

C’est très juste. Je l’ai ressenti avec mes deux enfants que j’avais une semaine sur deux. J’étais un papa une semaine et libre l’autre semaine. C’était troublant. Aujourd’hui, j’ai un troisième enfant. Les deux autres sont plus grands, le cadre d’une semaine sur deux a disparu, je suis un père à temps plein, mais qui n’a rien à voir avec mon père. Je ne connais aucun père de sa génération qui a donné le biberon et changé une couche. Je n’en connais aucun de ma génération qui n’a pas donné le biberon, pas changé le bébé. Ce changement-là est gigantesque. J’ai encore entendu parler de la "féminisation du rôle du père", mais cette expression a totalement disparu.

Une génération où l’on est père, plus tard.

C’est vrai, car on a un culte de la jeunesse. Quand on a 30 ou 40 ans, il y a la problématique de rester jeune, cela n’existait pas pour la génération précédente. Mon père, qui a 80 ans, m’a dit un truc très drôle après avoir vu le film : "C’est quoi, ces gens de 40 ans qui pensent qu’ils sont vieux !" Et puis, avoir des enfants, c’est aussi garder un pied dans la jeunesse, j’ai une fille de 13 ans et un garçon de 15. Il y a encore deux ans, c’est moi qui les conseillais en matière de musique. Maintenant, c’est le contraire.

Une génération qui a ses acteurs. Romain Duris, Audrey Tautou, Cécile de France. Vous ne vous étiez pas trompé.

Je vais être prétentieux. Je forme un duo avec Romain Duris, mais j’en ai formé un autre avec Bruno Levy. Il est mon producteur et un formidable directeur de casting. Le casting du "Péril jeune", c’est lui. Ensemble, on a un talent à repérer des acteurs. On en a vu naître beaucoup. La dernière en date, c’est Marine Vacth. Elle était dans "Ma part du gâteau" avant de faire "Jeune et Jolie" avec Ozon. Elle avance vite.

En quoi sont-ils différents des acteurs de la génération précédente ?

Ils sont plus mobiles, ils s’adaptent facilement, ils n’ont pas de cadre. La génération précédente était pour ou contre la "Méthode" Stanislavski, le cinéma commercial… Romain n’a jamais pris un cours de théâtre, ça ne l’a jamais gêné. Cela ne l’empêche pas d’avoir recours à un coach à certains moments. Romain est un capteur, pas le produit d’une formation. Du coup, il est assez libre. Cécile de France l’est plus encore, car elle est Belge. Les Français ont l’esprit Versailles, il faut faire partie de la Cour, correspondre au goût du roi. Les Belges, ça ne les préoccupe pas, ça se voit au cinéma, dans la mode, la danse. Cécile ne s’interdit rien, elle a une liberté de jeu qui n’est pas française.

Vous parlez d’une trilogie, mais il n’y a aucune raison que cela s’arrête, car ce n’est pas une suite, mais les étapes de la vie. Le plus dur sera de trouver un aussi bon titre pour le quatrième.

Je voulais que cela s’arrête là. Mais quand je vois l’envie des gens de voir le quatrième. Car c’est un peu "qu’est-ce qu’on devient ? C’est quoi, le parcours d’une vie ?". Si j’en ai l’envie dans 10 ans, je le ferai. Il y a quelques jours avec Romain, on s’amusait à chercher des titres. Il aimait bien "L’assiette anglaise". Je pense que "Téléphone arabe" pourrait être pas mal.


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