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Viggo Mortensen ressuscite Freud: entretien

Publié le 4 janvier 2012 dans Cinéphiles

Dans “A Dangerous Method”, l’acteur incarne un Sigmund Freud charmeur, piquant et plein d’esprit. Une troisième collaboration toujours aussi fructueuse avec le Canadien David Cronenberg.
Pour beaucoup, le nom de Viggo Mortensen est apparu en même temps que celui d’Aragorn. Promenant sa carrure et ses longs cheveux noirs dans "Le seigneur des anneaux", l’acteur, qui avait déjà une longue mais discrète carrière derrière lui, devient une star. Il s’est alors agi de confirmer ce statut, dans des films plus ou moins enthousiasmants comme "Appaloosa", "Alatriste" ou "La route", d’après Cormac McCarthy. Mais c’est le Canadien David Cronenberg qui va lui donner la possibilité d’exprimer une autre facette de son talent, le transformant physiquement dans "A History of Violence" en 2005. Cheveux courts, visage fermé, il se montre parfaitement inquiétant dans un rôle sombre. Deux ans plus tard, le duo se reforme pour le somptueux "Les promesses de l’ombre". Avec "A Dangerous Method", Cronenberg prend à revers l’acteur physique, transformant Mortensen en Sigmund Freud. Face à un génial Michael Fassbender en Carl Jung et Keira Knightley en Sabina Spielrein.

En septembre, à la Mostra de Venise, Viggo Mortensen prend le temps, avant de débuter l’interview, d’accrocher un drapeau derrière lui, aux couleurs du club de foot argentin San Lorenzo de Almagro, que l’on retrouve sur son sac ou son écharpe... Voix douce, ton posé, visage impassible... Difficile de déceler chez Mortensen la lassitude des interviews ou une vraie naturelle. "C’est l’équipe la plus ancienne et la plus importante au monde ! Personne n’en est conscient mais je travaille à faire des convertis. Je supporte cette équipe parce qu’elle le mérite. J’ai grandi en Argentine et j’ai vécu un an, bébé, à Caracas au Venezuela", explique calmement l’acteur américano-danois. Ce lien très fort avec l’Amérique du Sud - il parle parfaitement espagnol et joue régulièrement dans des films hispanophones - l’a naturellement rapproché de Walter Salles. Avec qui il a tourné "Sur la route" d’après Kerouac, que l’on découvrira sans doute à Cannes en mai. "C’est quelqu’un de très éduqué, comme David. Ils sont passionnés tous les deux mais ont une méthode de travail totalement différente. Walter encourage beaucoup l’improvisation pendant le tournage et répète beaucoup avant. A l’inverse, David refuse les répétitions. Il s’attend à ce que vous connaissiez votre texte et que vous soyez prêts. Il attend beaucoup de vous mais donne également beaucoup. Il sait écouter, ce qui en fait un très bon réalisateur. Ils sont aussi tous les deux très calmes, ont une très bonne équipe avec laquelle ils ont l’habitude de travailler projet après projet. Cela me plaît aussi."

Si, à Venise, Cronenberg a dérouté par le classicisme d’"A Dangerous Method", pour Viggo, pas de doute, c’est du Cronenberg pur jus ! "Quelqu’un m’a dit l’autre jour que c’était un film très différent : il n’y a pas de têtes qui explosent. Je pense au contraire qu’il y a beaucoup de têtes qui explosent ! Ou plutôt elles implosent. C’est comme lorsqu’on me demande ce que c’est d’être un method actor. Il n’y a pas d’explication. Une méthode, c’est ce qui marche. C’est une façon d’arriver à quelque chose. Cela change d’un personnage à un autre pour un acteur, d’un film à un autre, d’une histoire à une autre pour un réalisateur. Je comprends quand David dit qu’il ne voit pas les liens entre ses films. Cependant, il y a une signature dans chacun d’entre eux. Durant les cinq premières minutes, y compris les films que j’ai tournés et que je devrais mieux connaître, je me demande ce qui se passe. Ce n’est jamais ce à quoi je m’attends. Est-ce bien joué ? C’est inconfortable; on a l’impression que tout va exploser. Et puis soudain, tout se calme. Mais ce n’est pas parce que David a fait quelque chose, c’est parce que vous avez accepté d’aller sur son chemin. C’est sa façon de raconter une histoire. Et je ne connais aucun autre réalisateur qui fasse cela. Je ne sais pas s’il se le dit consciemment, car il n’est pas arrogant, mais pour moi, il est comme n’importe quel grand réalisateur : donnez-lui une histoire et il la racontera différemment de n’importe qui d’autre !"

Après avoir tourné trois films avec David Cronenberg, une réelle complicité est née entre l’acteur et le cinéaste. "Plutôt qu’une figure paternelle, c’est un peu un grand frère pour moi. J’aime son sens de l’humour. Pendant qu’on tournait "A Dangerous Method", je me disais que j’aimerais être comme lui, faire des blagues tout le temps et me foutre si les gens comprennent ou non. Il rit de vous en permanence, sans même que vous vous en rendiez compte... Mais ça ne me dérange pas. La plupart des acteurs ont une dimension masochiste en eux. J’y retourne encore et encore parce que j’aime être frappé. Psychologiquement bien sûr..." Viggo avoue d’ailleurs qu’il serait déçu si cette relation professionnelle devait s’arrêter.

Avant de tourner "A Dangerous Method", Viggo Mortensen avoue qu’il était plus fasciné par la personnalité de Carl Jung que celle de Freud. "J’avais plus lu Jung et sur Jung; je le connaissais mieux. Mais en devant interpréter Freud, j’ai appris beaucoup. Je ne savais pas qu’il avait un tel sens de l’humour, un peu comme David. Je ne savais pas combien c’était un écrivain et un orateur raffiné. J’ai commencé à le voir presque plus comme un artiste que comme un scientifique. Il disait par exemple : Partout où je vais, je découvre qu’un poète y est venu avant moi... Il se pensait lui-même comme une figure littéraire autant que scientifique. Beaucoup de gens l’ont vu comme cela. Certains lui auraient d’ailleurs bien donné le Nobel de littérature."

Artiste, Freud était aussi un scientifique rigoureux et réaliste. "Je pense que Freud est plus réaliste que Jung, il accepte les choses comme elles sont. Dans le film, il lui dit : Ne te perds pas dans l’illusion qu’on va les guérir. Leur intention est similaire : pour aider les gens, il faut comprendre ce qui se passe, quel est le problème, le blocage, la névrose. Je pense que l’idée d’une confession sans conséquences négatives, sans punition, face à quelqu’un qui écoute, est bonne. Mais, de façon générale, Jung pensait qu’il allait guérir les gens. Alors que Freud pensait qu’on ne pouvait pas changer la nature humaine mais que cela aidait d’être conscient de ce qui se passe en soi. Il pensait la même chose de la société en général. A la fin du XIXe et au tournant du XXe, il y avait tellement de progrès : communications, électricité, automobile, avions, santé, science, arts L’humanité n’allait jamais retourner à la barbarie. Mais Freud disait : En dessous de cette surface où l’on semble progresser, il y a une matière bouillonnante et si l’on ne s’en occupe pas, quelque chose va arriver. Je pense qu’il était déçu mais certainement pas surpris par la Première Guerre mondiale, par sa brutalité. Pas plus que par la montée d’Hitler au pouvoir."

Pour ressusciter Freud à l’écran, en adepte de la Méthode Actors Studio, Viggo Mortensen a beaucoup travaillé, se plaçant dans ses pas. "J’ai été plusieurs fois dans sa maison de Vienne pendant la préparation, j’ai également visité sa maison natale. C’est en République tchèque aujourd’hui mais cela faisait alors partie de l’empire austro-hongrois. Quand, dans le film, je descends ces escaliers pour accueillir Jung, ce sont les escaliers que ses patients ont montés et descendus pendant des décennies. Tous les matins, il les descendait pour aller faire une longue promenade avant de se mettre au travail. Comme acteur, vous ne pouvez rêver mieux. Mais même les intérieurs du film, que nous avons tournés à Cologne, ont été construits à partir des plans des maisons de Jung et de Freud. L’intérieur de la maison de Berggasse a beaucoup changé car quand Freud a dû partir pour Londres, il a emporté tous ses livres et ses meubles les plus précieux. Cela n’existe plus mais on l’a recréé Beaucoup des livres que l’on voit sur son bureau sont de vieux livres que j’ai trouvés dans des librairies de Vienne. Je sais que ce sont des livres qu’il a lus car j’avais un inventaire de sa bibliothèque. Je savais qu’il était sagace mais je ne savais pas qu’il avait un tel sens de l’humour. J’ai été surpris de savoir qui il lisait. Pas seulement des ouvrages scientifiques ou sur la mythologie, mais aussi les humoristes du XIXe, très habiles pour contourner les lois très strictes de la censure viennoise."

Pour Viggo Mortensen, jouer un personnage historique comme Freud ou un être fictionnel comme Aragorn ne change pas grand-chose à sa méthode. "Je fais la même chose qu’il s’agisse d’un personnage fictionnel ou historique : que s’est-il passé après sa naissance ? Les choses à apprendre ou imaginer sont infinies : amis, famille, école, santé, intérêts, chance dans la vie, géographie, lieux Que se passait-il dans le monde à cette époque ? Que lisait-il ? Qu’aimait-il manger ? Comment marchait-t-il ? Dans le cas de Freud, il y a beaucoup de photos, beaucoup de matériel, de descriptions de lui. Cela rend le boulot plus facile. Mais à la fin, vous êtes seul avec votre personnage. Je n’arriverai jamais à tout savoir. Il y a par exemple des enregistrements de sa voix à la fin de sa vie mais elle était déjà très dégradée suite aux opérations liées à son cancer. La façon dont les gens ont décrit sa façon de parler, son rythme, sa musicalité ont résonné en moi mais il a fallu l’imaginer. Il reste de l’espace pour être créatif. Dans la façon dont je parle avec Jung ou Sabina, plus que le contenu, il faut faire passer l’esprit. Pour ce personnage, les mots sont ses gestes. Dans les rôles que j’ai eus à jouer jusqu’ici, y compris chez Cronenberg, il s’agissait de gens qui s’expriment la plupart du temps de façon non verbale, par leurs actions ou par ce qu’ils ne disent pas. Ici, je joue un type qui n’arrête pas de parler. Il informe, désinforme, se moque, évite, se défend, attaque C’était amusant et nouveau pour moi. Avec Jung, c’est comme s’ils se battaient au fleuret mais avec des mots..."

Retrouvez également l'entretien avec David Cronenberg


Entretien à Venise, Hubert Heyrendt

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